- DEMY (J.)
- DEMY (J.)DEMY JACQUES (1931-1990)Né le 5 juin 1931 à Pontchâteau (Loire-Atlantique), Jacques Demy est mort d’une leucémie le 27 octobre 1990. Passionné par le cinéma dès son plus jeune âge, il débute avec le cinéaste d’animation Paul Grimault, puis devient l’assistant de Georges Rouquier qui produit son premier court métrage professionnel, Le Sabotier du Val de Loire (1956). Suivent Le Bel Indifférent (1957), adaptation très personnelle d’un texte de Jean Cocteau, et des films de commande, comme Musée Grévin (1958), La Mère et l’enfant et surtout Ars (1959).L’effervescence suscitée par la Nouvelle Vague lui permet de réaliser, en 1960, Lola, qui aurait dû être une comédie musicale en couleurs. Budget oblige, le film est en noir et blanc et simplement dialogué. Mais le recours au Cinémascope, la musique de Michel Legrand — qui écrira pratiquement toutes les musiques de Demy — et une scène de cabaret dansée par Anouk Aimée annoncent l’œuvre à venir. Si le succès est plus critique que public, La Baie des anges (1962), tragique descente aux enfers du jeu, est un échec commercial total. Cela n’empêche pas Demy de mener à bien un projet réputé impossible: Les Parapluies de Cherbourg (1963), avec Catherine Deneuve, un mélodrame amer sur arrière-fond de guerre d’Algérie au dialogue entièrement chanté. Contre toute attente, c’est un succès international qui permet à Demy de tourner son film le plus proche du «musical» américain, Les Demoiselles de Rochefort (1966), où Françoise Dorléac se joignait à sa sœur Catherine Deneuve. Mais l’état de grâce s’achève. Tourné en Californie, Model Shop (1968) est aussi mal accueilli aux États-Unis qu’en France. Le succès de Peau d’Âne (1970), relecture du conte de Perrault, entraîne l’adaptation, en Angleterre, de la légende de Hamelin, Le Joueur de flûte (The Pied Piper, 1971). C’est un échec plutôt total, comme la comédie qui suit, sur une grossesse masculine, L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune (1973). Lady Oscar (1978), adaptation au Japon d’une bande dessinée nippone située sous la Révolution française, ne sort même pas en France. Après une incursion à la télévision (La Naissance du jour, d’après Colette, 1980), Demy réussit pourtant à monter un projet qui lui tient à cœur depuis longtemps, un film chanté à la façon des Parapluies , mais dans une tonalité plus désespérée, sur fond de grève dans les chantiers navals de Nantes. Une chambre en ville (1982), avec Dominique Sanda, Richard Berry, Michel Piccoli et Danielle Darrieux, est le film le plus représentatif du tempérament tragique du cinéaste: une grande part de la critique y voit son chef-d’œuvre, le public ne suit pas. Pas plus qu’il n’approuve Parking (1985), révision malhabile de la légende d’Orphée. On croit Demy remis en selle lorsqu’il peut réaliser un autre de ses très anciens projets, Trois Places pour le 26 (1988), mais les résultats demeurent très en deçà de ce que la présence d’Yves Montand, dans son propre rôle, aux côtés de Mathilda May et de Françoise Fabian, pouvait laisser espérer.Si le titre d’un de ses films d’étudiant, Les Horizons morts , donne le ton de l’œuvre de Jacques Demy, Le Sabotier du Val de Loire en précise le propos: derrière les gestes ritualisés du vieil artisan, le sentiment de l’écoulement irrémédiable du temps donne au film son caractère à la fois nostalgique et angoissé. Nous sommes loin de l’idée reçue d’un univers aux couleurs et aux sentiments fades, exaltant le bonheur permanent, le rêve et l’irréalité. Même des films «optimistes» tels que Lola , Les Demoiselles de Rochefort ou Peau d’Âne, après avoir plongé le spectateur dans l’enchantement, lui laissent un goût d’amertume et un sentiment de malaise.C’est que Demy est avant tout le cinéaste de l’entre-deux: le présent n’existe jamais en tant que tel entraînant le mouvement constant et apparemment incohérent de personnages toujours pris entre réminiscence, ressemblance et devenir. Cette indéfinition, ce décalage permanent sont à la source de ce sentiment de malaise: aspirant à un cinéma du sublime comme ses personnages à l’absolu (l’«idéal féminin» du marin des Demoiselles ), Demy l’ancre dans la banalité la plus quotidienne par la trivialité de dialogues à la Queneau et en tirant le meilleur parti des moyens limités que lui permet la production française: si les rouages grincent parfois, c’est pour laisser filtrer la vie et l’émotion.
Encyclopédie Universelle. 2012.